mercredi 30 mai 2012

une gouache de Roger van Hecke




« Je suis devant ce paysage féminin
Comme un enfant devant le feu
Souriant vaguement et les larmes aux yeux » (...)

(extrait du texte)

mardi 8 mai 2012

37°NORD, 73° EST, et quelques centaines de lieues sous terre

« Que l'Orient du rêve, du rêve de chaque nuit, passe de plus en plus dans l'Occident du jour. Il dissipera cette politique sombre des derniers temps de notre décadence. André Breton

Le vendredi 21 septembre, au soir de la terrible explosion d'une usine chimique à Toulouse, nous venions d'évoquer un texte d'Engels sur l'Afghanistan à propos duquel un général russe, ayant pris part à la déroute des troupes soviétiques, déplorait l'ignorance de ses supérieurs politiques, qui avaient lancé plus de six cents mille hommes dans une guerre perdue d'avance. S'ils avaient lu Engels, commentait cet homme…

Nos associations fusaient à propos du 11 septembre, sur fond d'humour apocalyptique. Soudain M.-D. M. s'écria : « l'Agarttha, l'Agarttha ! » offrant ainsi à ses trois acolytes ce qui leur sembla être une clé de la dimension imaginaire de ces attentats et de leurs conséquences.

L'Agarttha est, selon Saint-Yves d'Alveydre, une université spirituelle mondiale. Il la décrit dans la Mission de l'Inde en Europe- Mission de l'Europe en Asie - la Question du Mahatma et sa solution, rédigé en 1886, et publié en 1910, un an après sa mort. Il semblait à M.-D. M. que l'entrée de ce monde était peut-être en Afghanistan. Aussi demanda-t-elle à G.G. de vérifier son emplacement, dans une biographie de Saint-Yves que l'un et l'autre avaient lu quelques mois auparavant. Rendez-vous fut pris pour le lendemain.

Le samedi, tandis que J.-J. M. traduisait le texte d'Engels, G.G. lisait des textes de Saint-Yves d'Alveydre, faisant mention du royaume souterrain : « Mais comme je sais que dans leurs compétitions mutuelles à travers toute l'Asie, certaines puissances frôlent sans s'en douter ce territoire sacré, comme je sais qu'au moment d'un conflit possible, leurs armées devraient forcément soit y passer, soit le côtoyer, c'est par humanité pour ces peuples européens comme pour l'Agarttha elle-même que je ne crains pas de prescrire la divulgation que j'ai commencée ». S'adressant à l'empereur de Russie, le visionnaire l'avertissait : « Sire, soyez prudent en touchant à l'Afghanistan, ne vous avancez pas sur le territoire de ces amphictyons sans prononcer l'antique mot d'ordre du règne de Dieu ». Il fit de même avec la reine d'Angleterre : « Une entente intellectuelle loyale avec le temple universitaire de l'Agarttha est l'unique mesure qui puisse maintenir sous votre Sceptre, les immenses populations de votre empire colonial indien (…) Osez madame, amener votre entente entre votre Gouvernement et celui de la Russie. Osez, madame, avec l'Empereur de ce grand pays, appeler à témoin de vos pacifiques efforts, la civilisation européenne tout entière, et demandez ensemble au temple de l'Agarttha de s'ouvrir loyalement à vous en lui garantissant son indépendance. » Saint-Yves tient ses informations sur l'Agarttha de son ami Bulwer Lytton, vice-roi des Indes, mais aussi d'un certain Hardjij Schariph Bagwandan, afghan, né à Bombay le 25 décembre.1838 et domicilié dans la banlieue parisienne, à Levallois Perret (108 rue P. Corneille) . Cet homme aurait aussi vécu au Havre, où il aurait été professeur de langues orientales et marchand d'oiseaux. Selon René Guénon, après le traité de Westphalie en 1648, « les vrais Rose-Croix ont quitté l'Europe pour se retirer en Asie ; et nous rappellerons, à ce propos, que les Adeptes rosicruciens étaient au nombre de douze, comme les membres du cercle le plus intérieur de l'Agarttha, et conformément à la constitution commune à tant de centres spirituels formés à l'image de ce centre suprême. « A partir de cette dernière époque, le dépôt de la connaissance initiatique effective n'est plus gardé réellement par aucune organisation occidentale ; aussi Swedenborg déclare-t-il que c'est désormais parmi les « Sages du Thibet et de la Tartarie » qu'il faut chercher la « Parole perdue » ; et, de son côté, Anne-Catherine Emmerich a la vision d'un lieu mystérieux qu'elle appelle la « Montagne des Prophètes », et qu'elle situe dans les mêmes régions. Ajoutons que c'est des informations fragmentaires que madame Blavatsky put recueillir sur ce sujet, sans d'ailleurs en comprendre vraiment la signification, que naquit chez elle l'idée de la « Grande Loge Blanche », que nous pourrions appeler, non plus une image, mais tout simplement une caricature ou une parodie imaginaire de l'Agarttha. » Le 6 octobre, après une manifestation contre la guerre qui s'annonçait, G.G trouve chez un bouquiniste, boulevard Saint-Michel Voyage hélicoïdal autour d'Apollonius de Tyane. Fatras de théories occultistes, ce roman raconte les pérégrinations souterraines de l'auteur depuis les grottes de la Sainte-Baume en Provence, jusque dans l'Agarttha, en passant sous la Tchécoslovaquie (cela se passe en 1965), Samarkand, l'antique Karakorum, et les confins du Pamir « Nous mettrons le cap vers le chemin frontalier qui sépare l'Afghanistan du Turkménistan soviétique, à proximité de la vieille cité de Hérat (l'Alexandrie des Ariens, fortifiée par le grand macédonien aux portes de la Bactriane), de Kaboul (l'antique Ortospana non loin de la passe de Khyber d'où l'on sent la fraîcheur humide du grand fleuve l'Indus. Et nous traverserons bientôt les fondations basaltiques du Plateau de Tadmor, sur notre route vers le Sin-Kian ». En ce qui concerne les descriptions de l'Agarttha et de sa capitale Shamballah est, bien sûr, cité le livre Hommes, bêtes et dieux de Fernand Ossendovsky , qui s'appuie sur le témoignage du lama Gelong, favori de prince Choultoun-Beyli : « Ce royaume de l'Agarttha, où l'on compte 800 millions d'habitants, s'étend à travers tous les passages souterrains du monde. Un savant lama chinois, affirme que la plupart des cavernes de l'Amérique sont habitées, elles aussi, par le peuple le plus ancien aujourd'hui disparu sur la terre. Ces peuples dans la planète tout entière sont gouvernés par des chefs qui reconnaissent la souveraineté du Roi du Monde (…) Si la folle humanité commençait à faire la guerre contre ce royaume, les savants aux ordres du roi du Monde, seraient capables de transformer en inhospitalier désert la surface de notre terre ». Enfin lorsque le narrateur parvient à rencontrer le Roi du Monde celui-ci prévoit d'effroyables catastrophes : « le Croissant s'effacera, et ses adeptes tomberont dans la mendicité et la guerre perpétuelle. Ses conquérants seront frappés par le Soleil… » Saint-Yves représente l'Agarttha par le symbole du soleil en astrologie . En sanscrit ce mot veut dire : « Inaccessible à la violence ». Pendant la manifestation du jeudi 11 octobre, Dominique Paul montre à G.G. un homme portant un tee-shirt sur lequel est écrit « Agarttha jazz band ». Selon Bertrand Schmitt, un club de ce nom existe à Prague. Mais Saint-Yves d'Alveydre ou Guénon ne furent pas les premiers à se saisir des souterrains imaginaires de l'Agarttha. Le VRIL, groupe d'occultistes, s'inspirant de Jacolliot, et proche de la Golden Dawn, dissidente de la Rose-Croix anglaise, liée à Bulwer Lytton, n'inspira pas seulement Saint-Yves, mais plus tard : Rudyard Kipling, Drieu La Rochelle et la société Thulé, à l'idéologie nazie.


Celui qui a été propulsé terroriste en chef dans le programme du cirque en réseaux : Ben Laden , s'il n'a pas l'étoffe des héros, a celle d'un nouvel ascète plutonien. Parlant sur fond de grotte, caché dans les entrailles de la terre, circulant en ses veines, il a de quoi alimenter quelques délires apocalyptiques, fléau satanique ou archangélique des airs, pourvoyeur d'une poudre plus sûrement mortelle que l'opium. Mieux que le Satan de Babylone, son seul pays revendiqué c'est sa foi. Dans la deuxième phase des paniques occidentales, surgit la peur des menaces bactériologiques. Premier signe la peur de la « maladie du charbon » ou anthrax ravagent la Floride qui voilà un an sombrait dans des calculs de bulletins de vote, tandis que des « taupes » y apprenaient à piloter. Le pandémonium d'où viendrait la menace d'une pandémie, c'est l'Afghanistan.

Nous voici à l'heure des enveloppes menaçantes. L'une d'elles, adressée à un éditorialiste d'un journal contenait le message : « Howard Troxler…premier cas de maladie, maintenant soufflez cette poussière et vous verrez comment la chose véritable s'envole. Oklahoma-Ryder-Truck ! Skyway bridge - 18 roues ». Ce message rappelle l'attentat d'Oklahoma city en avril 1995, pour lequel Timoty McVeigh (exécuté en juin 2001), un militant d'extrême-droite, l'un des héros de la guerre du Golfe, avait loué un camion Ryder Truck.

Les surgissements de l'irrationnel, dans sa monstrueuse négativité, vont bien au-delà de ce que les films catastrophe avaient imaginé. La peur de l'ennemi travaille dans un autre espace et un autre temps que celui des fictions, et les emblèmes de la magnificence capitaliste qu'ils soient architecturaux ou d'asepsie généralisée sont soudain perçus comme des leurres, porteurs de menaces. Notre propos n'est pas de démontrer les liens entre l'extrême-droite américaine, certains services de la CIA, et le terrorisme de masse, mais d'en signaler incidemment quelques curieuses manifestations. Articulée sur le hasard de quelques trouvailles, notre rêverie sur la géographie imaginaire de l'Agarttha traduit une réaction d'humour face à une situation dramatique. Que valent ces souterrains de légende face aux mobiles et aux conduites souterraines de ceux qui, appelant à la croisade ou au jihad, sont pour nous des ennemis ? Peuplée ou non de ses 800 millions d'habitants et de ses gnomes, tout encombrée qu'elle soit ou non d'archives immémoriales, l'Agarttha jusqu'à ce jour n'a pas encore fait entendre ses rumeurs dans nos rêves, à la différence des paysages afghans. L'on sait seulement que c'est là-bas, sur le théâtre des opérations, une coulisse derrière le décor de toutes les propagandes, de toutes les peurs. Une coulisse au fond de laquelle peut s'ouvrir l'imagination de chacun, dans le désir de préserver, face au désastre, toute possibilité de solution imaginaire, comme anticipant ou accompagnant avec ses moyens propres, délirants ou mythologiques, la volonté de se ressaisir de la situation dans une perspective insoumise. S'agit-il encore d'imagination utopique ? L'Agarttha nous passionne non seulement parce que l'une de ses ouvertures serait située sous l'Afghanistan, mais aussi parce que d'autres peuvent être découvertes en tout lieu chargé d'une signification symbolique ou poétique. Descente au fond du volcan ou seulement à la cave, vitriol. »

(Guy Girard et Marie-Dominique Massoni, vendredi 25 octobre 2002. In SURR, numéro 5, septembre 2005. Texte cité par Bernard Roger dans « L'Étoile scellée ».
source: http://surrealisme.ouvaton.org/article.php3?id_article=18)


Bernard Roger, « L'Étoile scellée » (extrait)


« (...)
Pour les surréalistes, le surréel est dans le réel, comme pour le mage l'invisible est dans le visible, comme l'alchimiste sait que l'infini se trouve dans le fini dont le grand oeuvre consiste à l'extraire.

On ne saurait donner trop de sens au fait que René Alleau, qui avait connut Antonin Artaud et assisté à ses derniers instants, ait put confier à Breton, en 1953, que c'était sa rencontre passée avec le surréalisme qui l'avait amené à prendre la route aventureuse vers « l'entrée ouverte au palais fermé du roi ».

Comme en reflet dans le miroir de cette conjonction magique, les conférences d'Alleau à la salle de Géographie à Paris provoquèrent parmi les membres du groupe, dès la fin de l'année 1952, un ouragan d'intérêt pour l'alchimie, d'inter­rogations sur sa nature et son objectif, mais tout d'abord sur la nature de sa mystérieuse « matière première ».

Cette période du mouvement, qui connut l'ouverture de la galerie dont le titre, l'Étoile scellée, fut choisi par Breton parmi quelques noms de cette « matière » dans une liste proposée par Alleau, restera marquée de l'un des points lumineux où le surréalisme et l'alchimie, ces deux voies de haute poésie qui, selon les termes de Jean-Louis Bédouin, « ne se confondent jamais, bien qu'elles s'entrecroisent », sont venues au grand jour se superposer l'une à l'autre. Il arriva même alors que certains, parmi les compagnons de l'aventure, furent animés par l'impétueux désir d'apprendre comment on partait à la quête de la « Toison d'or », et attirés par les souterrains obscurs vers lesquels entraîne l'étude des ouvrages qui traitent de cet art.

Il s'agissait pour eux de tenter l'accès aux profondeurs d'un domaine où toute orientation et tout repère disparaissent, « un labyrinthe au centre duquel, écrit René Alleau, les secrets de la haute science sont cachés dans une colonne comme les livres du Temple ». Un tel trajet pouvait-il manquer de leur rappeler la direction, verticalement parallèle quoique sensiblement distante, qu'André Bre­ton désigna comme celle qu'il convenait de prendre en vue de la « récupération totale de notre force psychique », une « descente vertigineuse en nous, l'illumi­nation systématique des lieux cachés et l'obscurcissement progressif des autres lieux » ?

À ce stade, le chemin proposé par le projet surréaliste est semblable à celui de l'alchimie, comme à celui de la franc-maçonnerie, dont l'épreuve initiale fut discrètement évoquée par deux membres de l'actuel groupe de Paris que cite Patrick Lepetit, sous l'image d'une « descente au fond du volcan ou seulement à la cave, vitriol ».

Là se trouve le secret commun au surréalisme et à ces deux disciplines tra­ditionnelles, et sa couleur est le noir. C'est le fondement du merveilleux, le sous-sol de la tour sans porte où l'on entend chanter la prisonnière de la chambre haute, la belle Raiponce à la longue chevelure.

Où pourrait se lover un tel labyrinthe, si ce n'est au coeur du « vieil océan » salué par Lautréamont ? À la surface ont émergé au commencement des temps, avec la naissance des hommes, la magie, l’astrologie, l’alchimie, les rituels sacrés, puis, comme sortis des mains d'un prestidigitateur, les tarots et les boules de cristal.

Diffus dans ces eaux mères, un « mythe nouveau » semble depuis les débuts du surréalisme rêver sa naissance incertaine. Ce sont précisément les témoins de rêve qu'a convoqués Patrick Lepetit pour réaliser son minutieux travail, remarquable et sans précédent, notamment en ce qui concerne la méthode suivie pour rendre visibles certains chemins sur lesquels « il est possible, écrivait Pierre Mabille, de pressentir un nouveau système de liaison de l'homme et de l'univers ».

On ne peut que s'émerveiller du hasard grâce auquel les deux ouvrages de l'introuvable Fulcanelli sont venus, durant la décade même où paraissent les Manifestes du surréalisme, rappeler la pérennité du très antique « art d'Hermès ». Dans cette rencontre temporelle entre l'alchimie, qui dans ses traités comme dans sa pratique enjoint « l'étudiant de science » de « suivre la nature », et la naissance du projet surréaliste qui, pour refaire l'entendement de l'homme, prescrit de donner accès à sa nature profonde, dans ces deux manifestations fortuitement contemporaines donc, force est de reconnaître les tracés de chemins parallèles vers l'accomplissement du désir primordial et constitutif de l'Homme : libérer et sans cesse accroître sa conscience.

Cet Homme est précisément ce qui, de tout l'homme, « demeure à jamais immobile au centre » du tourbillon dont a parlé André Breton. Mais c'est aussi le « Fils de science », frère jumeau du « Mercure philosophique ». Les francs-maçons l'ont nommé Hiram. À lui revient, sous l'un ou l'autre de ces noms, la tâche d'accomplir la révolution invoquée par Patrick Lepetit dans sa belle conclusion.

Tout au long de sa pénétrante étude, qui s'étend en vérité sur les rapports du surréalisme avec tout ce qui se trouve de « l'autre côté du pont », Patrick Lepetit, sans jamais distribuer « le pain maudit aux oiseaux », désigne d'un geste discret le rideau de brume où transparaît la silhouette de l'inquiétant et mer­veilleux château fermé. »


(Préface au livre de Patrick Lepetit, Le Surréalisme, parcours souterrain. Paris, Dervy, collection
« Pierres vivantes », 2012.)

jeudi 12 avril 2012

Choisis ta porte




Roger van Hecke, Choisis ta porte, 1957.

« Born in Tourcoing, France, at the very moment earth was shaking in Japan. After having exercised innumerable trades: harvester, chemist, motorcycle racer, cook, gardener, decorator, lecturer, etc. ... he sailed to Japan in 1949. There, he taught French, worked as a newspaper man and, finally, as a riding-school teacher. Participated in shows and reviews inspired by Surrealism. He visited Korea during the war (he was arrested by U.S. soldiers in Kiong-Jon), then China, the Philippines, and travelled back to Paris in 1959. »

(Catalogue de l'exposition Surrealist intrusion in the enchanter's domain, 1960.  Traduit du français par Julien Levy et Claude Tarnaud.)